Ce qui est chiant avec le rap, c’est qu’à chaque concert, je prends un peu un coup de vieux quand je vois la moyenne d’âge du public. C’est un peu le problème quand tu suis l’actualité de cette musique et que t’as passé les 30 ans : tu plombes les statistiques. Marié, deux enfants, un monospace… Je ne suis pas sûr que les sociologues parient direct sur ma présence à un concert de Hyacinthe.
Mais bon le 24 octobre dernier, c’était différent. Déjà, j’étais pas avec mes fidèles compères de la team #AuFondÀGauche du Ferraileur, mais avec ma femme. Elle, l’actualité rap, elle s’en tamponne mais genre grave. Le seul contemporain qui trouve grâce à ses yeux c’est Fianso. Au volant, rien qu’elle envoie des grandes manchettes dans les airs en criant ISH ISH ! Pour que ça soit validé, faut qu’il y ai du texte, du flow et que ça donne envie de casser la beuj de son voisin en concert.
Alors dans l’autoradio de ma gonzesse à part Sofiane il y a un groupe qui a traversé les âges, qui l’enjaille toujours autant qu’en 1998, c’est le suprême NTM. Et quand elle a vu qu’ils passaient dans le coin pour une « dernière tournée » *tousse* elle m’a tanné pour que vienne avec elle elle m’a dit :
– Tu fais ce que tu veux mais moi j’y vais.
Je ne vais pas vous mentir, les grandes salles, les écrans géants, les concerts à 65 balles, c’est pas ma tasse de thé. Moi, Je suis plutôt habitué à voir un mec que je considère comme une légende devant un public de 30 personnes.
Non et puis merde 65 boules quoi. En tribune en plus, parce que la fosse est déjà pleine. Et puis bon, faut arrêter l’acharnement thé-rap-eutique à un moment. Ils se sont reformés combien de fois pour les impôts l’amour du hip-hop ? Bon.
Après ça, un frisson de peur m’a envahit. Imagine, l’un des deux canne bêtement, emportant avec lui la nostalgie de nuits où j’écoutais le Sky-BOSS sous ma couette sans que je ne les ai vu sur scène. J’ai sorti la CB.
Jeudi 24 octobre. 19 h 30. Zénith de Nantes Métropole.
Merde. On est vachement plus jeunes que les autres. Oh ! Un pull Com8 ! C’est quoi cette odeur ? De la weed ? Ah non, c’est la cigarette électronique du mec à côté.
Pas de contrôle des places j’interroge ma moitié :
– On va dans la fosse ?
– Mais grave mec !
35 berges, toujours pas décidés à vivre à concert de peura assis.
On est bien placés, genre au milieu, à 5 m de la scène. Les deux énormes chiffres 9 et 3 trônent sur la scène devant un mur de diodes formant le « sceau de ceux qui dérangent ».
Première partie (c’était tellement éclaté au sol que je ne vais même pas en parler)
20 h 30 : entracte.
J’observe le public, du bobo, du beauf tuning, beaucoup de cheveux blancs (quand il en reste), un sosie blanc de Damian Marley et… Ma voisine.
Un carré coupé du jour, maquillage et petit polo Lacoste rose impeccables. Elle est surexcitée. Avec ses airs de secrétaire de direction en goguette, elle intrigue mon côté puriste de m****. Qu’est-ce qu’elle fout là ? Peut-être qu’elle ne connaît pas les morceaux, qu’elle a juste kiffé Joey dans Polisse ? Va-t-elle rugir sur « Qu’est-ce qu’on attend » ? Merde, elle engage la conversation.
– J’ose pas trop aller aux toilettes j’ai peur de ne pas retrouver mes amis ou que ça soit commencé mais lol ahah j’ai trop envie j’y vais, si je ne suis pas revenue dans 10 min appellez la police !
– Et je leur dit quoi ? « Nique la police » ?
– … Oh bah non quand mêmeuh. Ah mais si ouais ahah.
– O_o’
21 h 10, la lumière s’éteint, les 9 000 personnes massées dans le Zénith hurlent. Le Jaguar rugit. C’est parti.
DJ Pone (emoji yeux en cœur) est à la gestion des prods, DJ Rash aux scratches, Shen et Joey au pétage de mic. Et bordel c’est ouf comment ils ont la santé les quinca !
– Hey hey, on a cent ans à nous deux ! Mais 50 % de l’ambiance c’est vous, DU BRUUUUUUUUIIIIIIT ! BOOOOOOOM BAAAAANNNG AAnghAAnghAAnghAAnghAAnghAAngh *se tape sur la gorge*
Les titres de l’album culte du Suprême s’enchaînent, tout le monde dans la place fait POPOPOPO, je jump, je bouscule, je me fais alpaguer par mon voisin de derière « Tu m’écrases les pieds…! » frère, je te file ma place si tu veux, t’auras accès aux tribunes, mais moi je bouge pas.
Soudain le boom bap se transforme en riddim ragga. C’est qui ce renoi qui débarque ? On distingue à peine son visage derière ses dreads et son bandana, par contre ce flow… OH PUTAIN DADDY MORY ! Le flow est toujours aiguisé comme une lame, le jeu de jambes (et les montées de genoux) pointu comme un couteau, ça fait plaisir.
Tiens encore un nouveau gonz qui débarque sur scène OH ! Lord Kossity ! Ça zouk dans les benz benz benz.
– Morenas morenas Lala la Lala la LA LA !
Et là je comprends qu’on va avoir le droit au défilé des proches, un grand concert chorale avec tout l’entourage du crew (enfin ceux qui sont encore dans les amis).
– C’est qui lui ?
– C’est Nathy du BOSS.
– Roh merde, le gamin du morceau avec Rohff là ?!
Débouleront ainsi successivement Busta Flex, Zoxea, Nathy pour faire revivre les meilleurs succès des crew VI My People et BOSS.
WOOOOP WOOOP THAT’S THE SOUND OF DA POLICE !
Sous les sifflets de la foule Joey en profite pour en placer une pour Steve, mort noyé à Nantes le 21 juin dernier après une charge de Police contre un Soundsystem.
Le public est ACAB comme jaja.
La fatigue commence à se faire sentir, Kool Shen a enfilé le troisième tee-shirt de la soirée, Joey en est au deuxième.
– On a fait un morceau avec lui récemment mais il peut pas être là ce soir, on veut que vous chantiez le refrain avec nous !
Lance Kool Shen avant d’entamer Sur le Drapeau, dernier featuring en date du duo, avec Fianso sur le projet 93 Empire. Si Joey assure au refrain (par dessus sa propre voix et largement épaulé par le public) Kool Shen, à bout de souffle, ne finira jamais son couplet.
Quelques titres et quelques rappels plus tard, l’ensemble des proches du groupe (dont Sadik Asken, armé d’un appareil photo et Cut Killer, armé d’une biatch de magazine beaucoup plus bonne que… vous connaissez la suite) envahissent la scène pour un dernier countdown avant de refermer définitivement l’épisode nantais de cette « tournée d’adieux » *re-tousse*.
Il est l’heure pour le public d’aller payer la baby-sitter et de retourner à sa routine habituelle…
À la prochaine, longue vie, et nikomouk.